Crónica


Liste noire

Depuis le début de l’année, de nombreux employés ont été mis à la porte sans explication. Ils venaient à leur bureau pour travailler et ne pouvaient entrer : leurs noms figuraient sur une liste. C’est ainsi qu’ils apprenaient qu’ils étaient licenciés. Comment fabrique-t-on les listings ? Quels sont les motifs ? Ariadna Castellarnau, employée à la Culture, qui vient de se retrouver sans boulot, décrit les méthodes de la prise de décisions des nouvelles autorités, l’absence d’évaluation du travail réalisé, et ce que vivent des milliers de personnes qui se sont retrouvées sans emploi du jour au lendemain.

Traduction: Pascale Cognet

Sergio arrivait à son travail, au siège central des Fabrications Militaires au 65 de la rue Cabildo avec une heure d’avance, vers sept heures du matin, il aimait bien avoir du temps pour mettre en fonctionnement  les extracteurs, les cuisines et les fours. Il montrait son laissez- passer  à la porte et il saluait les gens de la sécurité- les mêmes qui après, attristés, seraient chargés de lui annoncer qu’il était renvoyé. Quand ses trois autres camarades arrivaient, tout était déjà prêt pour faire la cuisine. Ils préparaient environ trois cents repas par jour, en comptant les menus pour les cœliaques. Le travail s’achevait à quatre heures, mais lui, restait plus tard. Notamment depuis la prise de fonctions des nouvelles autorités en décembre et depuis qu’ils avaient résilié le contrat de l’entreprise sous -traitante qui se chargeait du nettoyage. Sergio finissait sa journée en nettoyant lui-même les extracteurs et les hottes de la cuisine pleines de graisse.

Depuis deux semaines, Sergio accomplit ses heures de travail sur le trottoir, puisque l’accès à l’immeuble lui est interdit. Il arrive à huit  heures du matin et reste jusqu’à quatre heures. Là, il retrouve une cinquantaine de travailleurs dans la même situation. Aucun d’entre eux ne peut franchir le seuil de la porte de l’endroit où ils ont travaillé jusqu’au 1er février. Ils s’assoient sur les marches  en  assemblée  pour envisager comment faire front à la vague de licenciements qui leur a enlevé leur boulot. Au total, ils sont 140 à avoir été remerciés. C’est arrivé du jour au lendemain, comme lorsque surviennent les accidents fatals, sans aucune explication.

Sergio a 46 ans et il travaille depuis 24 ans dans le secteur de la gastronomie. Quand il a appris qu’il y avait un poste vacant d’aide cuisinier à Fabrications Militaires (NdT : organisme d’état argentin  qui dépend du Ministère de la Défense.), il travaillait depuis cinq ans dans un hôtel de Cordoba. La proposition était tentante. Plus d’argent et des conditions meilleures, il a donc envoyé son CV et ils l’ont appelé. Ils lui ont fait passer un entretien de groupe puis deux individuels. Il a dû assister aussi à plusieurs rencontres, on lui a expliqué ce qu’était Fabrications Militaires, ce qu’y faisaient les gens qui y travaillaient. Il s’en est bien sorti pendant les entretiens, on lui a proposé un contrat et il a déménagé à Buenos Aires.

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Le  lundi 1er février, Sergio, venait de rentrer de ses  vacances sur la côte de Buenos Aires et il se sentait reposé et heureux, mais quand il est arrivé à Fabrications Militaires, il s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas. Il y avait des travailleurs qui faisaient la queue dans la rue et les portes étaient fermées. “Ils ont une liste et si  ton nom se trouve dessus, ils ne te laissent pas passer” lui a-t-on dit. Il était sur la liste .Depuis ce jour-là, il attend l’arrivée du télégramme de  licenciement. Comme il n’arrive pas, ou il a été perdu ou peut- être n’a-t-il jamais été envoyé, il y va tous les jours et reste dehors, pour éviter qu’on ne l’accuse d’abandon de poste de travail.  Sergio ne veut pas que ses enfants, de six et trois ans, le voient mal, il ne veut pas  qu’ils se rendent compte de ses angoisses, qu’ils lui posent des questions. Il paie un loyer et il ne sait pas encore comment  il va se débrouiller à partir de maintenant. L’incertitude peut être la pire des tortures. Ses amis lui téléphonent pour savoir comment il va et lui disent en baissant un peu la voix, que commencent à circuler des rumeurs sur lui.

Qu’est-ce qu’on raconte?

—Qu’on t’a  viré parce que tu étais le cuisinier personnel de Bárbara Grané—

Grané était la gérante des Communications et Relations Institutionnelles et la femme de Santiago Rodríguez, ex contrôleur des Fabrications Militaires et militante de la Campora. [NdT : groupement de la jeunesse kirchnériste] Sergio ne la connaissait même pas personnellement.

J’ai entendu pour la première fois le mot ñoqui  (NdT: se dit d’une personne qui touche un salaire sans faire un travail correspondant) pour désigner une personne, un fainéant pour être plus précis, quand je suis arrivée dans ce pays il y a sept ans et qu’une parente de mon mari m’a raconté au cours d’un asado [NdT : barbecue]  que Macri était  un bon chef de gouvernement parce qu’il avait  retiré tous les ñoqui. “Ce Macri  a changé le menu” ai- je pensé, “bravo”. Vivre dans un autre pays, avec d’autres repères linguistiques, peut avoir des  effets hallucinogènes. Maintenant par un de ces caprices de la vie, je me retrouve en train de vivre ce qui me semblait si bizarre.

Il est dix heures du matin  et la grille de la porte du Ministère de la Culture au numéro 400 de la rue Alsina est baissée. Je viens pour une réunion avec les autorités. On suppose qu’aujourd’hui, ils vont nous donner des explications sur les licenciements et des précisions sur la suite du travail pour toute l’équipe de la Direction Nationale des Industries Créatives. De l’autre côté de la grille, deux hommes de la sécurité que je n’avais jamais vus avant me demandent mon nom. Je les vois parcourir du regard le listing ; je les entends mal  prononcer mon nom, comme pour s’assurer que c’est bien moi, effectivement, celle dont le nom apparaît surligné au marqueur orange. Ceux qui apparaissent en orange, sont  sur le gril. “Tu ne peux pas passer” me disent-ils. Je remarque qu’ils ont honte, qu’ils n’aiment pas beaucoup faire ce travail et je n’ai plus envie de discuter.

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Je reste dehors, avec d’autres camarades qui ne discutent pas non plus parce qu’ils savent que c’est inutile. Quatre jours seulement ont passé  depuis le vendredi 29 janvier où nous avons appris que nos noms figuraient sur une liste de licenciés, mais quatre jours suffisent pour se retrouver au plus bas des échelons de la valorisation et de l’estime de soi sociale. Sans emploi, ñoqui, personne non grata. En littérature, on appelle cela changement de destin du personnage, c’est ce qui fait avancer la trame et permet au lecteur de se distraire. Dans la vraie vie, c’est moins drôle.

Nous avons décidé de prendre un café dans un salon de thé en face, et attendre que la réunion se termine. Depuis le Ministère, nos camarades  nous préviennent par WhatsApp qu’un des responsables va descendre pour parler avec nous. Au bout de quelques minutes, “ le responsable” s’assied  à notre table.

—Cette situation m’excède—dit-il.

D’après ce qu’il raconte, il a été mis au courant des licenciements  en arrivant à son bureau le vendredi 29 janvier.

—Les noms qui sont sur la liste ont été choisis de façon aléatoire dans le cercle des ministres et ne correspond à aucune évaluation ou mauvais services  des personnes licenciées.

Nous échangeons des regards. Devrions- nous nous sentir mieux? Nous ne sommes pas desñoquis. C’est un problème de budget. Nous sommes, pour le dire d’une autre façon, victimes d’un réajustement qui est en train de balayer tout le personnel de l’Etat. Etre victime c’est bien mieux qu’être ñoqui, bien évidemment. Lesvictimes ont deux points en leur faveur : elles sont toujours innocentes et peuvent s’exprimer.

Le discrédit de l’employé du secteur public est pratiquement un lieu  commun. Dans son roman Les employés (de 1836) Honoré Balzac attaquait avec acharnement l’étroitesse de vue de l’employé de la fonction publique : “ Bureaucratie, le pouvoir gigantesque exercé par des pygmées […] une sympathie naturelle pour la médiocrité, une prédilection pour les rapports et les affirmations catégoriques […] si méticuleux et si indiscrets, en résumé, comme une petite bourgeoise”.  Ces jours-ci, les contestations à cause des licenciements des employés d’état ne réussissent pas à mobiliser le reste des citoyens, qui les voit comme une sorte de classe  privilégiée, au-delà de ce qu’ils peuvent gagner et de la légitimité obtenue pour accéder à leurs emplois.

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Par moments, la préoccupation semble ne pas dépasser le périmètre d’une certaine classe, particulièrement portègne, progressiste bien que non nécessairement militante. Le discrédit de l’employé du secteur public  est toujours d’actualité et bien répandu dans de nombreux secteurs de la société.

Au cours d’une assemblée de délégués et du  personnel du Ministère de la Culture dans le hall du bâtiment d’Alsina (les licenciés  nous ne pouvons  pas aller plus loin) je fais la connaissance de Valentina Vigliecca, déléguée  d’ATE*-CTA  [NdT: ATE: Association Travailleurs de l’Etat, CTA: Centrale de travailleurs d’Argentine] au Ministère de la Culture. Nous sommes plus d’une centaine. Des gens du siège d’Alvear et d’Alsina sont venus au numéro 1100. Valentina nous explique qu’à ATE ils vont se mobiliser pour défendre les travailleurs licenciés et le boulot de tout le monde. “Le ñoqui n’apprend pas qu’il est licencié au moment où il se présente  à la porte de son travail Il l’apprend un mois plus tard, quand il ne reçoit pas son salaire”.

Il y a quelque chose qui m’échappe dans mon licenciement et dans celui  de mes camarades; nous faisons partie d’un jeu dont je ne connais pas les règles. “Ici, tout change du jour au lendemain”,  “ cela s’est déjà produit avant”, “Ce n’est rien comparé à 2001”. Mes amis argentins tentent de me calmer  chacun y allant de son expérience, parce  qu’ils connaissent les cycles de l’histoire de ce pays. Parce qu’eux, ils ont vécu le corralito [NdT : Corralito nom officieux donné aux mesures économiques prises en Argentine lors de la crise économique le 1er décembre 2001], le chômage et la crise alors que moi j’étais une universitaire  dans l’Espagne du bien- être et que nous croyions que le boulot ne manquerait jamais.


–Pour moi, quitter le secteur privé et entrer dans l’administration publique a été une victoire personnelle.

Cette travailleuse- qui me demande de ne pas révéler son nom parce qu’elle est à la recherche d’emploi et pense  que cela peut lui porter préjudice- est une des personnes qui est entrée en 2015. La frange sensible. Les suspects. Le décret 254/2015 publié dans le Bulletin officiel institue que “les Ministres, les Secrétariats à la Présidence de la Nation, les Autorités Supérieures des organismes décentralisés, les Entreprises et Sociétés de l’Etat de l’Administration Publique Nationale  doivent revoir les modalités de concours et de sélection du personnel”. Il stipule également  que ″pour ceux qui auraient conclu leur premier contrat au cours des années 2013, 2014 ou 2015, le renouvellement se fera pour trois mois″. Jusqu’au 4 février, d’après le baromètre des licenciements, on compte 25.956 licenciements.

Je suis entrée en 2013 et je suis aussi  suspecte. C’est tellement vrai, que je n’ai même pas pu arriver à la fin de mon contrat de six mois. Un de mes amis, catalan, se moque affectueusement de moi et me dit que maintenant je suis une ″persécutée politique″. Je lui dis que je serais ravie d’être une persécutée politique ; mais je ne suis qu’une travailleuse précarisée dont le contrat ne tenait qu’à un fil. Je commence à faire des recherches pour savoir quels programmes ont été démantelés ce dernier mois, à la recherche d’une possible déqualification idéologique et politique. J’apprends que le coordinateur du programme Afro-descendants, Javier Ortuño, a également été licencié. 

La sous- secrétaire à la Culture Citoyenne m’a dit que, dans mon cas,  le droit d’admission pouvait s’appliquer,comme si l’Etat était une discothèque. 

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Cinq personnes travaillaient  chez Afro-descendants (en comptant Javier). Il ne reste maintenant qu’un employé et il  n’a pas de tâche assignée. Une source du Sous Secrétariat à la Culture Citoyenne (dont le programme dépend) assure par téléphone qu’il est prévu qu’Afro-descendants continue d’exister mais il n’a pas encore été décidé comment. Cette situation se répète dans de nombreux  bureaux  du Ministère de la Culture et autres secteurs : des travailleurs qui n’ont rien à faire parce que les nouvelles autorités n’ont toujours pas commencé à définir des actions. Quelques employés vont même jusqu’à s’inventer et s’assigner des tâches, comme c’est le cas de “el Grone”.

Diego Grona, “el Grone”, est muraliste et artiste visuel; il travaillait depuis 2011 dans le domaine Culture et Enfance. Sa situation résume bien la précarité du travail pour de  nombreux employés d’Etat. Il a travaillé  pendant trois ans avec un contrat de réalisation d’œuvre,  touchant 4500 pesos mensuels [NDT : 290 euros environ], en payant lui-même les matériaux. En 2014, il est passé à ce que l’on connaît sous le nom de “la 48”, qui est  à peu près équivalent à être un naufragé dans une mer déchaînée à qui  quelqu’un  lance un morceau de bois. La 48 (Loi 25164 /Art.9) crée une catégorie  ″monotributo″ [NdT : statut qui s’apparente à celui d’auto entrepreneur qui ouvre une couverture sociale et permet l’accès à l’économie formelle] avec des cotisations sociales, mais ce type de contrat peut être résilié du jour au lendemain, comme cela lui est arrivé. Son travail consistait à créer  et réaliser des ateliers d’éducation artistique dans les bidonvilles du territoire national. Il se débrouillait avec un budget très maigre et avec les ressources qu’il avait sous la main. Quand les nouvelles autorités sont arrivées et avant qu’elles ne le mettent à la porte, il a fait son dernier atelier sans que personne ne le lui demande, seulement parce qu’il voulait continuer à travailler.

–J’étais fatigué qu’on ne me donne rien à faire. Ainsi, un jour, j’ai pris des bocaux  en verre, quelques bristol et je me suis rendu à la Villa 31. Là, avec les enfants, nous avons fait des confitures et dessiné des étiquettes.

El Grone et sa compagne, (qui travaillait au Ministère de la Justice) ont été licenciés la même semaine. Ils louent un appartement dans le quartier de Retiro et ont deux enfants dont  l’un souffre d’un retard de développement.

Encore un programme qui souffre de démantèlement : le programme de Santé Sexuelle et de Procréation Responsable créé par la loi en 2002 qui dépend du Ministère de la Santé. Jusqu’au lundi 1er février, il comptait 56 travailleurs. Deux jours après, les licenciés étaient déjà au nombre de vingt. La nouvelle administration considère qu’il s’agit d’un programme  qui emploie trop de gens, qu’il est trop vaste, trop éloigné du nombre souhaitable: 15 employés

Maria est entrée au Ministère de la  Santé il y a sept ans, en pleine épidémie de dengue et de grippe H1N1. Comme travailleuse de la Ligne 0800 de ″ Santé j’écoute″ elle a dû non seulement informer mais aussi faire tomber des mythes, parce qu’en même temps que les épidémies on a l’habitude de voir débarquer les premières manifestations de xénophobie. Ensuite, elle avait la charge de répondre aux doutes concernant la santé sexuelle et le VIH-SIDA. Les appels étaient généralement  longs et Maria écoutait, vingt minutes, une demie heure  les angoisses qu’elle arrivait à calmer grâce à une infinie patience. Finalement, il lui est incombé de faire ce qu’elle affectionnait le plus : s’investir dans les territoires, ″les pieds dans la glaise″. Elle s’est formée, et elle a commencé à former des agents promoteurs de la santé, des coopérants et agents sanitaires qui- selon ses propres mots- ″ sont  la dernière  roue du carrosse du système, mais sont la référence et le visage de la santé dans les quartiers, que les voisins connaissent et  en qui ils ont confiance, à qui ils font appel en dernier ressort avant de prendre leur courage à deux mains pour se rendre à l’hôpital ou au dispensaire″

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Elle adorait son travail, bien qu’il ne fût pas facile. Elle faisait au minimum deux voyages par mois, souvent en mettant de l’argent de sa poche car elle recevrait l’argent des frais de voyage des mois plus tard. Elle a appris qu’elle était licenciée en  voyant son nom sur une liste. Personne  ne lui en a expliqué le motif.

Le Programme de Santé Sexuelle et Procréation Responsable ne se charge  pas seulement de ″ distribuer des préservatifs″,  il a aussi signifié une avancée énorme dans  la garantie des droits sexuels et à la reproduction en  Argentine. Au cours des dernières années, il a produit une série de guides pour les professionnels de la santé, où sont  précisés les aspects liés à l’usage des moyens de contraception, à l’attention des femmes qui ont été victimes de viol, pour des cas d’avortements légaux, et des personnes transsexuelles en accord avec la loi de l’Identité des Genres, entre autres sujets. ″Avec 115 personnes nous ne pourrons pas atteindre les objectifs du programme″, indique Camila Lynn, travailleuse de ce secteur et déléguée d’ATE*.

Les licenciements sans évaluation d’aptitude, sans critère visible, touchent des travailleurs et des techniciens qui, comme Natalia Vaca, réalisent des tâches fondamentales et dont la mise à pied  entraîne aussi des préjudices pour des tiers. Natalia est avocate et travaille dans le programme Vérité et Justice du Ministère de la justice et des  Droits Humains, dont la fonction est de garantir la protection  intégrale des victimes, des témoins, des plaignants et des fonctionnaires impliqués dans le processus de jugement pour les crimes contre l’Humanité commis au cours de la dernière dictature civico-militaire.

Natalia a un lien personnel avec les témoins, c’est une simple protection: elle leur  téléphone quand ils tombent malades, elle s’assied avec eux sur le banc des accusés pendant les audiences, elle les entoure quand le passé les prend aux tripes comme une nausée. Son premier travail a consisté à convaincre  un témoin ponctuel des tortures pendant la dictature à ce qu’il accepte de déposer. Cela faisait deux ans que les procureurs essayaient de le convaincre sans succès,  mais Natalia  est allée chez lui, elle a obtenu qu’il la laisse entrer et est restée assise avec lui tout un  après-midi à prendre du maté et à parler de la vie. Elle a réussi à le convaincre. La seule chose que le témoin lui a demandé c’est qu’elle l’accompagne pendant le jugement. Natalia lui a promis de ne pas le laisser seul.

Natalia a été virée vingt jours avant que ne reprenne l’étape des plaidoiries du jugement, dans un moment très sensible pour les victimes, quand elles ne savent pas encore si celui-ci va se résoudre en leur faveur ou non. Les témoins se retrouvaient livrés à un état d’insécurité et de vulnérabilité.

–Il n’y avait plus personne pour accomplir mes tâches et mon licenciement signifiait un retour à l’ancien système de notification par le biais de la Police Fédérale et la Gendarmerie. Tu imagines bien qu’au regard de la nature même  des faits sur lesquels nous faisons des recherches, les victimes ne se sentent pas à l’aise en présence des forces de sécurité dans leurs logements.

Natalia Vaca a été rétablie dans ses fonctions, après que ses propres camarades, les organismes de Droits Humains de Salta et le tribunal aient fait pression sur les autorités.

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Paula Basilico, déléguée ATE de Fabrications Militaires, résume la situation en un point de vue transcendant: les licenciements appellent plus de licenciements. Les 140 mises à pied- qui ont affecté les travailleurs comme Sergio- se sont produites dans les zones qui garantissent la production et le fonctionnement des cinq usines qui dépendent de l’organisme : Sécurité, Hygiène et Environnement, Planification de Gestion, Direction de Production, Communications et TTII Investissements et Qualités. Cela signifie que dans l’actualité, il y a des lignes entières de produits  qui ont été négligées, sans travailleurs chargés des tâches clefs, comme le positionnement du produit sur le marché ou la communication.

Dans un enregistrement diffusé sur la chaîne “Minuto uno”,  on peut entendre

de quelle façon Cristian Fernández, haut fonctionnaire commis d’office en second  au Siège Central de la FM, informe les travailleurs que la nouvelle direction  n’est pas intéressée  par la fabrication de wagons silos Tolva (dont le développement a nécessité 5000 heures d’ingénierie argentine et l’emploi de 80 travailleurs et PME d’approvisionnement) et que l’ordre est donné de continuer à fabriquer des balles, des gilets et des gaz lacrymogènes puisqu’on s’attend- dit-il avec un  arrière- goût de cynisme- à ″une demande croissante″. Lorsqu’un des employés lui demande quel est exactement le plan des  nouvelles autorités, le haut fonctionnaire lui répond  comme un maître Zen : ″ le plan peut être aussi un non plan″.  

A l’usine de Rio Tercero – où sont fabriqués les wagons de transport– les 640 travailleurs craignent pour le maintien de leurs contrats. La plus part  des employés a moins de 40 ans et a une famille. Quelques- uns  font des services de 6 heures, 365 jours par an. Les autres travaillent de 7 à 15, du lundi au vendredi. Ce sont des  ouvriers, des techniciens et des professionnels de différentes spécialités qui vivent, sont locataires et consommateurs à Rio Tercero. ″Il est facile de prévoir l’impact qu’aurait  un  licenciement massif sur la communauté″ affirme Cristian Colman, délégué de l’usine.

Le soir du 29 janvier, les gens licenciés, nous nous retrouvons devant la porte de C5N.[NdT : Canal 5 Noticias est une chaîne de télévision par câble qui émet 24 heures sur 24] Ils nous ont convoqués pour nous faire passer à la télé, mais il n’y a la place que pour  30 personnes dans le studio.

Un des délégués à la Culture demande que ceux qui travaillent depuis plus longtemps entrent, comme pour démentir le fait que les 494  avons été engagés à la dernière minute, formant un groupe à la hâte, avant que ne soient fermées les portes du four où mijotaient en toute tranquillité les salaires  volumineux et les privilèges qu’ils nous octroient. Mais alors que je suis déjà dans le studio et qu’ils commencent à allumer les spots, je suis prise d’angoisse et je demande que quelqu’un me remplace. Tout à coup le complexe d’extranéité s’empare de moi. Quand je sors, je me retrouve avec les gens de Ronda Cultural, un programme du Ministère qui faisait des circuits guidés dans les musées et les espaces culturels nationaux, en minibus. Leur public était très hétérogène : des gens de la classe moyenne, des jeunes en situation de fragilité, des personnes hypo acoustiques, des personnes âgées.

Pablo, un des participants du programme et guide spécialisé, comme d’autres employés de la culture, s’est retrouvé le 29 janvier devant les portes fermées de son lieu de travail et face à un nouveau personnel de sécurité ayant reçu l’ordre de ne laisser entrer personne. Pablo et les 26 membres de Ronda travaillaient au CePIA (Centre de Production et recherche en Arts) qui se situe au 745 rue Vera. Là, ils n’ont même pas pris la peine d’envoyer des listes. Au CePIA, ce matin -là,  il n’y avait que cadenas et silence. Jusqu’à ce que commencent à sonner les portables et qu’à l’autre bout de la ligne, on entende des voix alarmées qui leur racontaient que dans d’autres ministères, il se passait la même chose, comme dans ces films catastrophe, du dimanche après-midi, dans lesquels un virus commence à se dupliquer dans différentes parties du monde.  Pablo a reçu d’un ami un WhatsApp  avec quelques photos. Au début, il ne comprenait rien, jusqu’à ce qu’il se rende compte que c’étaient des listes et que son nom et ceux de ses camarades apparaissaient parmi des centaines d’autres noms et que cela ne présageait rien de bon. Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il ? ″ Ce sont  des listes de personnes licenciées. Nous n’en savons pas plus″, lui a-t-on répondu.

Une semaine avant qu’ils me licencient, quelqu’un des Ressources Humaines m’a appelé pour demander quelques renseignements sur moi. Ils étaient en train de faire un tableau Excel avec des informations basiques sur le personnel et avaient besoin de connaître mon nom, mon âge, et en quelle année j’étais entré au Ministère et quelle fonction je remplissais. Quand j’ai essayé d’expliquer davantage  en quoi consistaient mes tâches, ils m’ont dit que ce n’était pas nécessaire, qu’avec une description générale seulement en  quatre ou cinq mots, cela suffisait. Pour Valentina Vigliecca et d’autres délégués d’ATE de différents Ministères, l’hypothèse la plus vraisemblable est qu’ils ont remis ces tableaux au Ministère de la Modernisation.

Les licenciements se décident donc sur la base d’un tableau Excel? Il suffit à ces gens d’avoir une ligne et quelques cellules pour décider de l’aptitude d’autant de personnes ?

Je connais des camarades à qui les nouvelles autorités ont exigé le contenu des dossiers de leurs ordinateurs ; à d’autres, on a demandé s’ils accepteraient de travailler avec des gens avec qui ils ne seraient pas d’accord idéologiquement. Je ne peux donner des noms parce qu’une conséquence naturelle de cette situation, c’est la peur. Ceux qui y sont encore, craignent qu’on les mette aussi sur une de ces listes fabriquées de façon aléatoire  par des bureaucrates anonymes. On entend le mot liste dans toutes les bouches.

-″Toi aussi, tu es sur la liste? ″

-″ Moi, je suis sur la liste″.

-″Moi non, mais demain qui sait.″

Pour l’avocat constitutionnaliste Eduardo Barcesat, les licenciements  ont été finalisés par ″voie de fait″, ce qui signifie que l’administration a agi  en dehors de son champ de compétences et en marge des procédures établies, qui ne n’admettent pas les listes comme mode de licenciement. Selon leur critère, ″ il est possible de  débuter une procédure  de demande d’indemnisation  pour préjudice moral et violation de la Loi Antidiscriminatoire, en plus d’un recours de protection demandant  comme mesure préventive l’immédiate réincorporation  dans la fonction jusqu’à ce que le  tribunal se prononce sur l’inconstitutionnalité des faits  et des actes qui ont conduit à démettre les travailleurs de leurs fonctions″.

Le démantèlement des bureaux et des unités de l’Etat ne se limite pas à la capitale. Silvia a 53 ans. Elle est employée du Centre de Documentation Rapide de la Station Ferroautomotora [NdT : terminal detrains et omnibus], à Mar del Plata, elle faisait des horaires de 12 heures, de huit heures du matin à huit heures de l’après-midi, les weekends et les jours fériés.

Pendant la semaine, elle a un petit boulot  avec un agent d’assurances. Avec les deux emplois, plus celui de son mari – qui a un salaire fixe mais modeste-ils se débrouillent  pour élever dignement leur famille nombreuse. Ils ont cinq enfants qui dépendent d’eux, trois dans le secondaire et deux filles à l’Université. La plus grande est en train de finir  ses études pour obtenir le diplôme de médecin  et participe en travaillant les weekends  dans une pizzeria pour aider la famille. 

Au bureau, ses collègues la considèrent comme leur mère. Quand un nouveau-né se mettait à pleurer au milieu d’une démarche pour le DNI [NdT : carte d’identité nationale], elle quittait son  guichet et allait le bercer. Elle aimait son travail. Cela ne la dérangeait pas de passer sept jours de la semaine au boulot, ni de faire des journées de douze heures.″ Pour les enfants, tout est bon″., dit Silvia au téléphone.

Le 1er février, une rumeur sur les licenciements a commencé à circuler.  Silvia a décidé d’appeler sa chef, à Buenos Aires, qui lui a confirmé que son nom était sur une liste avec ceux de seize autres de ses camarades sur vingt- quatre employés. Aucun d’eux n’a encore  reçu de télégramme. Depuis le samedi 6 février, ils sont en assemblée permanente. A côté des ordinateurs, il y a des matelas où ils dorment la nuit en attendant que la situation s’éclaircisse.

Le cauchemar ne s’arrête pas à la liste sans entête ni signature officielle  que brandissent les gens de la sécurité- souvent recrutés seulement pour l’occasion, car le personnel de sécurité habituel  refuse de faire passer ce mauvais moment aux camarades qu’ils voient tous les jours- ni avec l’imminence du télégramme. Le cauchemar se poursuit  après, lorsque les autorités ne se présentent pas sur leur lieu de travail pour donner des explications et nous les personnes licenciées, nous devons nous confronter à l’humiliation d’aller chercher nos affaires dans les bureaux, gardés par le personnel des Ressources Humaines, comme s’ils craignaient que nous ne  volions le Mac d’un fonctionnaire.

Dans un document audio qui circule sur le web on peut écouter comment Leandro Bruno, représentant du secteur des ressources humaines et sorte de haut fonctionnaire  commis d’office pour la restructuration du Ministère de la Culture, communique avec une extrême froideur – et en toute  irrégularité- le licenciement des travailleurs.

Leandro: L’idée aujourd’hui, c’est que ces gens qui voudraient récupérer leurs effets personnels à leurs postes de travail,  puissent entrer et on m’a chargé de les accompagner.

victime: Tu es des ressources humaines? 

Leandro: Oui

Victime : Alors tu pourrais nous accorder une interview?

Leandro: si vous le voulez, je peux m’occuper de vous, une ou deux personnes à la fois simplement, et je peux vous accompagner pour récupérer vos effets personnels. Je n’ai rien d’autre à vous dire. Je sais que vous avez des questions mais ce ne n’est pas à moi que vous devez les poser.

Victime: Qui t’a donné l’ordre?

Leandro: Je ne peux vous en dire davantage.

Victime: Et qui aux ressources humaines peut nous donner une explication?

Leandro: Je ne peux pas vous le dire non plus.

Victime: Qui est -tu? Quelle autorité as-tu?

Leandro: Je ne suis pas en train de vous empêcher d’entrer. On m’a mis là pour que je vous accompagne pour récupérer vos affaires.

Victime: Alors tu es “accompagnateur pour récupérer les affaires″

Leandro Bruno paraît sur  LinkedIn comme chef des Ressources Humaines  Rastic Hnos. S.A. / Cresta Roja. Cependant, quand j’essaye de regarder son profil, je me rends compte qu’il a été mis en congé.

Le télégramme arrive finalement, le 3 février. Mon mari m’appelle par téléphone pour me préparer. Il s’enferme dans la chambre pour que notre fille de quatre ans n’entende pas qu’il est préoccupé  dans sa voix. Je lui demande de m’en lire le contenu.

NOUS VOUS INFORMONS QUE NOUS N’AURONS PLUS BESOIN DE VOS SERVICES A PARTIR DU 29/02/2016.NOUS VOUS RELEVONS DE VOS OBLIGATIONS DE SERVICES DURANT LE MOIS DE PREAVIS.VOUS ETES DUMENT INFORME.

Ce que tout licencié veut savoir, c’est pourquoi on l’a mis à la porte. Le communiqué officiel du Ministère de la Culture qui justifie le licenciement de 494 travailleurs affirme : ″dans leur immense majorité, il s’agit de personnes qui ont été désignées pendant la gestion précédente courant 2015. Parmi le personnel touché, on compte des dizaines de cas de nominations faites au mois de décembre, quelques heures avant le changement de gouvernement″.

J’écris à Pablo Avelluto, Ministre de la Culture; il me répond quelques heures après me demandant d’entrer en communication avec la responsable Presse. Je le fais. La responsable Presse est aimable mais catégorique. Mais avant tout, elle est inébranlable, en parfait accord avec un Ministère qui a laissé sur la rive presque 500 personnes en un seul jour. Je lui dis- en mesurant mes mots- que j’aimerais savoir comment on a pris la décision de mettre à la porte autant de gens d’un coup.

–Le Ministère de la Culture a fait un point sur le personnel  afin de  détecter ces travailleuses et travailleurs qui n’accomplissaient pas leurs tâches ou qui n’avaient pas de tâches concrètes.

Je lui rétorque que beaucoup de licenciés parmi nous, n’avons pas eu d’entretien personnel avec les nouvelles autorités. La responsable Presse me sort alors le problème de ″ l’augmentation excessive du nombre de travailleurs″ des trois dernières années et la nécessité de se réajuster aux besoins réels du Ministère, quelque chose déjà dit par le Ministre sur ″Radio con vos″.  

–Et les listes?  Pourquoi avoir choisi cette méthode de licenciement? –demandé-je.

–Les licenciements n’ont pas été communiqués par le biais de listes. On a envoyé des télégrammes le 28 janvier. Qu’ils parviennent à destination, ne dépend pas de nous.

Je me remémore alors une autre des déclarations de Pablo Avelluto  dans le même programme radio. ″ Aucune méthode n’est bonne pour dire à quelqu’un de ne pas aller travailler″. Bien sûr- pensé-je-, mais certaines sont légales et d’autres non.

Je dis à Mabel Thwaites Rey, professeur titulaire de la matière Administration et Politiques Publiques, cursus de Sciences Politiques de l’UBA  [Ndt : Université de Buenos Aires], que je cherche une logique, une explication, un petit quelque chose.

–Contrairement aux années 90, quand c’était le discours du néolibéralisme qui avait cours, aujourd’hui, il n’y a pas de discours unanime ni en politique ni dans le domaine économique. Les licenciements constituent une mesure disciplinaire via le chômage. Priver de force les travailleurs permet d’augmenter le taux de chômage et de favoriser la négociation à la baisse des salaires.

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Un article de Le ″Dipló ″signé Verónica Ocvirk [NdT: le monde Diplomatique, édition pour le Cône Sud] signale un fait très  important: En Argentine, l’emploi public (en comptabilisant nation et provinces) représentante presque 17% de la population économiquement active (PEA). Cela nous situe dans les indices de la région et assez loin en dessous des pays développés et de haut niveau de vie comme la Norvège (35%), le Danemark (35%) ou le Royaume-Uni (23%).

Par ailleurs, la dernière décennie en Argentine  a été caractérisée par un modèle étatique avec une large présence sur le plan social et économique, ce que –c’est facile à déduire-  reflète l’augmentation du nombre d’emplois publics.  En accord avec le  Bulletin  Officiel des Finances Publiques présenté par le Ministère de l’Economie en janvier dernier, au troisième trimestre 2003, le Pouvoir Exécutif National totalisait 245.366 employés, alors que le chiffre pour le même trimestre en 2004 s’élevait à  358.491. Ce que certains appellent ″ augmentation excessive″, n’a pratiquement jamais  été mis en rapport avec la variable suivante: dans les dernières années, on a intégré 15 nouvelles entreprises d’Etat  (9 ont été créées et 6 autres ont été renationalisées) ; On a aussi  créé 12 nouvelles universités nationales et constitué 11 autres organismes décentralisés.

Quant aux salaires, voir le rapport du Cippec [NdT:Centro de Implementación de Políticas Públicas para la Equidad y el Crecimiento: centre de développement des politiques publiques pour l’équité et la croissance: organisation indépendante) ″ Evolution et distribution  de l’emploi public dans le secteur public national argentin″

Une première estimation indique que même si elle montre une forte hétérogénéité dans la distribution des salaires, 70% des employés du PEN [NdT : Le Pouvoir Exécutif National] et des autres branches du Secteur Public National sont dans la catégorie qui se situe entre  4.000 y 10.000 pesos.

Ce fait est corroboré par ce que soutiennent Horacio Cao et Maximiliano Rey dans  l’article “Planta Permanente” , publié dans cette même revue. D’après les auteurs, “licencier 10% de l’équipe du personnel de l’administration (publique) centralisée –environ 30.000 personnes- ne signifierait pas une économie supérieure à 1% du budget″.

La raison qui subsiste derrière les licenciements  n’est pas par conséquent de nature fiscale, mais idéologique. Même si, selon Maximiliano Rey: “Il ne faut pas confondre les raisons idéologiques avec la persécution idéologique. Ce qu’ils sont en train de faire, plus que licencier des personnes à cause de leur appartenance idéologique, c’est de diminuer ces programmes qui ne sont pas en accord avec l’idée que ce nouveau gouvernement a de l’Etat.  Les mises à pied dans le Secrétariat au Commerce ont eu lieu justement  parce qu’ils n’ont pas intérêt à avoir des gens qui feraient des recherches sur les chaînes de valeur.″

Il y a encore des données à compléter.  Par exemple: le Programme National de Formation Permanente ″  Nueva Escuela″ est en passe de devenir une friche de plus que la machinerie du PRO laisse sur son passage. Ils n’ont pas rouvert cette année les inscriptions  pour de nouveaux cours. Depuis 2014,″ Nueva escuela″  s’insère dans les universités ,dans  les instituts de formation supérieure et dans les corporations, pour faire des propositions de formation gratuites pour des élèves en niveau débutant  et primaire du pays avec pour objectif l’amélioration de la qualité de l’enseignement.

 Il compte 13 diplômes supérieurs et 20 cursus nationaux qui englobent des thématiques très diverses: Droits Humains, Alphabétisation, Politiques Socio-éducatives, Lecture à l’Ecole, Education financière ou Education, Consommation et Citoyenneté en autres.  En décembre, les nouvelles autorités ont annoncé à quelques coordinateurs et responsables que le programme pourrait être arrêté vers le mois de juin.

Cette semaine, on les a prévenus que dans le meilleur des cas, il irait jusqu’à mai. Macri  a annoncé la caducité de toutes les conventions  des Universités avec les Ministères; dynamique qui assure le fonctionnement de ce programme.

La portée de cette décision doit être mesurée non seulement à travers la quantité de personnes sans travail (comme c’est le cas des tuteurs, des responsables de programmes et autres acteurs impliqués) mais aussi avec le nombre d’élèves qui ne pourront finaliser leur formation (on estime à environ  300.000 les inscrits aux diplômes supérieurs et environ 100.000 inscrits aux cursus nationaux). 

Grâce à toutes ces données, je pense connaître le contexte qui me  manquait au début. Il me manque toujours le pourquoi. Mieux encore : J’ai un pourquoi, mais il ne me satisfait pas. Ils ne m’ont pas virée parce que je ne parle pas anglais, parce que je laisse brûler le café du chef, parce que je fais des fautes d’orthographe, parce que je ne sais pas coordonner mes vêtements, pour toute autre raison absurde et préférable à la vérité. Ils m’ont virée parce que ″ nous étions nombreux″. Parce que ″nous sommes nombreux″. Et dans ce discours unifié, homogène, dans ce nouveau récit qui sans se cacher, développe l’idée  d’un Etat trop grand, avec trop de gens, moi- qui suis une travailleuse et qui n’ai rien en trop- je ne vois que les  signifiants ″peu″ ou ″moins″.

Pour le nouveau gouvernement, ″trop″ est une menace, fruit d’une époque d’excès, alors que   ″peu″ et ″moins″, au contraire, c’est l’horizon souhaité. Peu d’employés, moins de programmes nationaux, moins de budget dépensé en salaires, moins de tout.